2006/05/10

Le vrai côté obscur du jardinage, ou l'arrache-pissenlits qui rend fou

Les banlieues sont productrices de névroses. Les villes aussi, remarquez bien, mais comme nous n'habitons la banlieue que depuis deux ans et demi, les ex-citadins que nous sommes sont plus enclins à remarquer le comportement banlieusard étrange qui se déploie sous leurs yeux qu'à se remémorer les bizarreries des Montréalais. Et dimanche dernier, j'ai été le témoin privilégié -- et, dans une certaine mesure, l'actrice -- d'une névrose de la périphérie.

J'étais en train d'expliquer les choses de la vie à Bébé ("regarde, des pics-pics; ça pique"), quand j'aperçu la deuxième voisine aborder Fille Aînée qui traînait sur le terrain de nos voisins immédiats. Or, autant les enfants savent qu'il est périlleux de parler à des adultes inconnus, autant, il me semble, les adultes savent de nos jours qu'il est dangereux pour eux de parler à des enfants inconnus sous peine de se voir ficher au commissariat comme pédophiles potentiels. Je trouvai donc éminemment étrange l'attitude de la madame blonde, qui semblait vouloir discuter -- mais de quoi? -- avec ma fillette de six ans.

Je m'étirai le cou par-dessus la minifourgonnette des voisins et m'inscrivit fermement dans le champ de vision de Deuxième Voisine. En m'apercevant, celle-ci ne put réprimer un tressaillement de bonheur. Et en une fraction de seconde, je compris. Elle avait à tout prix besoin d'un témoin.

Un témoin pour constater de visu à quel point son nouvel arrache-pissenlit fonctionnait magnifiquement bien.

Que ma fille ait eu seulement six ans était un désavantage mineur. Mais de voir arriver un adulte en chair et en os lui permettait de faire sa démonstration avec encore plus de joie et d'enthousiasme.

Deuxième Voisine: Ah! Madame! Je viens de m'acheter un arrache-pissenlit en solde chez Canadian Tire! Merveilleux, c'est sans effort...
Moi: Justement, mon mari a été m'en chercher un ce matin chez Réno pour arracher les pics-pics en arrière. (À Bébé:) Les pics-pics, ça pique.
Deuxième Voisine: Ah, non. Fallait aller chez Canadian Tire. Sont en spécial, et en plus la marque que j'ai achetée est recommandée dans le dernier Fleurs & Jardins.
Moi: Hmm, hmm. (Pics-pics, pique, pics-pics, pique...)
Deuxième Voisine: Mais justement, vous avez le terrain idéal pour que je vous fasse une démonstration!

(Tiens, la réponse à une de mes questions existentielles: Oui, les voisins remarquent nos nombreux pissenlits, et donc notre gazon mal tondu.)

Et Deuxième Voisine de se précipiter sur mon terrain avant et de se mettre à arracher les pissenlits comme une déchaînée. Elle brandissait ensuite d'une main victorieuse des plants de pissenlits agonisants, au cri de: "Voyez! C'est SANS EFFORT! En plus, c'est EN SPÉCIAL!"

Deuxième Voisine semblait plongée dans un état d'excitation extrême et continuait d'assassiner mes pissenlits à qui mieux mieux. Moi, j'étais trop abasourdie par la scène pour dire quoi que ce soit. Pourtant, quelques répliques me traversaient l'esprit: "Mais madame, j'aime les pissenlits!" (C'est vrai. C'est joli, ça sent bon, et ma fille m'en fait des bouquets.) Ou encore: "Madame, si j'enlève mes pissenlits dans la cour arrière, il n'y aura plus rien de vert." Ou bien: "Argh! Mes beaux pissenlits que j'ai plantés l'an dernier!" Ça, ça l'aurait stoppée net.

Père indigne arriva sur ces entrefaites. Perplexe.

Père indigne: Vous nous faites une démonstration?
Deuxième Voisine: Oui! C'est mon nouvel arrache-pissenlits! C'est SANS EFFORT! C'est EN SPÉCIAL! Et en plus, vous avez le terrain idéal!
Père indigne: Mais madame... êtes-vous en train de me dire que nous avons... des mauvaises herbes???
Deuxième Voisine, perplexe à son tour: Heu... oui?
Père indigne, se penchant sur l'instrument: Oh, mais, c'est tout un outil que vous avez là. (Se tournant vers moi:) Je regrette Chérie, je crois que celui que j'ai trouvé n'est pas à la hauteur.
Deuxième Voisine: En plus, il est en spécial.
Père indigne: Quand même. J'ai payé le mien dix dollars. Le vôtre a l'air de valoir, quoi? Vingt, vingt-cinq dollars?
Deuxième Voisine: Heu... Quarante, en spécial.
Père indigne: Ho, ho, ho! Clairement au-dessus de nos moyens!

Entendant cela, la deuxième voisine bredouilla ses excuses (une histoire de pissenlits à arracher dans sa cour) et repartit chez elle en quadruple vitesse. De la part de Père indigne, c'était un coup bas. En effet, c'est étrange, mais rien ne confond davantage votre bon voisin banlieusard de la classe moyenne-aisée que l'aveu que certaines choses sont au-dessus de vos moyens. Ça crée un malaise.

Enfin, bref. L'enthousiasme de ma voisine m'avait tout de même intriguée. Saisissant mon nouvel arrache-pissenlits cheapette, je me précipitai dans la cour arrière pour débusquer les pics-pics qui piquent.

Hé bien, après quinze minutes de travail (SANS EFFORT malgré le prix ridicule, je dois dire), j'étais devenue accro. Et c'est là que j'ai compris.

Arracher des pissenlits ou des pics-pics avec cet outil, c'est redevenir adolescent et reprendre contact avec l'intense satisfaction éprouvée lorsqu'il s'agissait de traquer et extirper ses points noirs. (Inutile de faire cette mine dégoûtée, hein. On est tous passés par là.) Une fois qu'on a commencé, difficile de s'arrêter. Et la deuxième voisine faisait probablement partie de cette catégorie d'ados qui, non contents de faire le ménage sur leur visage, s'attaquent aussi de manière incontrôlée à la figure ingrate de leurs amis.

Songez donc à cela avant d'acheter un arrache-pissenlit. Quel genre d'ado étiez-vous et, selon le cas, risquez-vous de perturber vos voisins à la pelouse ingrate?

***

Paraît-il que Père indigne, chez Réno, a aussi soulevé un coin de tapis sur une névrose reliée à l'arrache-pissenlits.

Alors qu'il examinait les types d'arrache-pissenlits avec un commis, ils furent interpellés par un inconnu à la voix grasse:

L'inconnu: Hé, hé, hé. C'est-y ça que ça prend pour enlever les hémorroïdes? Hé, hé, hé.
Père indigne: Monsieur, si votre problème en est rendu là, ce n'est pas ici que vous devriez être, mais chez un médecin.

Sacré Père indigne. Avec son accent belge, il peut tout se permettre.

12 expertise(s)

Anonymous Anonyme croit dur comme fer que...

Un truc qu'on se promet de faire depuis des années chez nous: afficher une pancarte sur le terrain, indiquant «centre d'interprétation du pissenlit». On ne passera plus pour des voisins négligeants, mais pour des scientifiques incompris ;-)

9:30 a.m.  
Blogger Caroline croit dur comme fer que...

EXCELLENTE IDÉE!!!!!

9:41 a.m.  
Anonymous Anonyme croit dur comme fer que...

Mes gamins sont relativement bien élevés. Mais parfois... Scène de vie familiale, pendant un arrachage intensif de la dite chose, sans l'outil magique, accompagnée des deux marmots qui devaient «obligatoirement» m'aider à arracher, il y a 5 ans : Benny-le-kid, environ 4 ans : «Mom, pourquoi ça s'appelle des pisse-au-lit les fleurs jaunes ?»
Daniel, 10 ans à l'époque : «Ouain, parce que ça fait pas mal plus chi** que pisser...»
;-)

11:06 a.m.  
Anonymous Anonyme croit dur comme fer que...

Dites, c'est parce qu'au boulot là, c'est pas tellement bien vu de rire toute seule comme une débile... Pourriez pas être un peu moins comique, vous toutes???

11:20 a.m.  
Blogger Caroline croit dur comme fer que...

intellexuelle, elle est bien bonne!

m-lorraine: évite d'avoir une photo de ton patron en fond d'écran, ça irait encore plus mal.

12:07 p.m.  
Anonymous Anonyme croit dur comme fer que...

CONSOLE-TOI MARIE-LORRAINE TU N'EST PLUS SEULE À RIRE DEVANT TON ÉCRAN, JE ME TIENS LES CÔTES ET J'ESSAIE DE NE PAS FAIRE DE BRUIT.
;)
BIBITE

1:32 p.m.  
Blogger Nicole croit dur comme fer que...

Hehehe.. eh bien moi, je ris à gorge déployée, seule devant l'ordi, mais comme je suis à la maison, Coconut et Époux-stouflant savent bien que je suis dans mon état normal :-D

Mère indigue, j'A-DO-RE la réplique de Père indigne!!

7:26 p.m.  
Blogger Caroline croit dur comme fer que...

Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blogue.

8:33 a.m.  
Blogger Caroline croit dur comme fer que...

Oups, je voulais éditer mon commentaire mais je me rends compte qu'on peut juste les effacer. Entéka, je recommence:

Nicole: Père indigne A-DO-RE ton commentaire!

Marc-Antoine: "délectable façon de raconter"... Mon Dieu, je commence à avoir chaud, va falloir que je me fabrique un éventail avec du papier construction moi-là...

Maxime: Tu dois aussi manger des OGM et conduire un Hummer? Voilà où ça mène de ne pas se conduire normalement avec notre face à l'adolescence... ;-)

9:08 a.m.  
Anonymous Anonyme croit dur comme fer que...

Ha les pissenlits! Je ne suis pas rendu là... Je suis un nouveau banlieusard depuis...10 jours exactement... c'est la piscine hors terre qui est après me mettre à terre... Au moins si je tombe les pissenlits de ma cours vont être la pour amortir ma chute!!!

J'ai vu mon père, mon beau père, ma belle mère partir leur piscine pendant des années dans la joie et l'allégresse de promesses de baignades et de plaisirs estivaux...estivals ou estivaux! etk! Moi je suis en détresse car ma piscine est verte mais verte comme les marécages dans Démétan!

Je crois que je vais échouer... mon fils a naître dans quelques semaines aura pour père un père indigne!!! Incapable de partir une piscine!

Au moins j'excelle dans l'élevage de pissenlits!

Mac

3:55 p.m.  
Blogger Caroline croit dur comme fer que...

Mac, je ne peux pas croire que votre piscine est plus verte que la nôtre. Si tel est le cas: armez-vous de patience, ça revient même quand on croit que c'est parti pour de bon.

Bonne chance pour l'accouchement!

6:44 p.m.  
Anonymous Anonyme croit dur comme fer que...

Ha la la...mais chez moi, c'est chez vous!!!

1:30 p.m.  

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